« Je suis cerveau droit, tu es cerveau gauche » : pour en finir avec un neuromythe tenace !

Ce qu’en disent les experts

« Plutôt cerveau gauche ou cerveau droit ? ». Cette croyance répandue de la dominance d’un hémisphère sur la personnalité provient de la mauvaise interprétation de dizaines d’années de recherche montrant que la latéralisation des fonctions cérébrales est un principe fondamental de l’organisation de notre cerveau. Aujourd’hui, après près de 30 ans de neuro-imagerie fonctionnelle, les théories sur la latéralisation fonctionnelle suggèrent une division moins radicale et supposent que les deux hémisphères s’équilibrent mutuellement.*

Le cerveau est composé d’un hémisphère gauche et d’un hémisphère droit reliés entre eux par un gros faisceau de fibres blanches (axones myélinisés), le corps calleux. Les deux hémisphères seraient non seulement associés à deux modes de pensée différents, mais également à deux types de personnalité avec des styles cognitifs distincts. Une personne rationnelle et analytique est souvent qualifiée de « cerveau gauche », une personne intuitive et émotionnelle de « cerveau droit ». Or aucune preuve scientifique n’indique une corrélation entre le degré de créativité et l’activité de l’hémisphère droit ni ne valide l’idée que l’analyse et la logique dépendent de l’hémisphère gauche. L’imagerie cérébrale a montré que les hémisphères du cerveau fonctionnent ensemble pour toutes les tâches cognitives, même s’il existe des asymétries fonctionnelles. En tant que système hautement intégré, il est rare qu’une partie du cerveau fonctionne individuellement. Certaines tâches sont dominées par un hémisphère donné, mais la plupart exigent que les deux hémisphères travaillent en synergie.

Grâce aux données d’imagerie fonctionnelle collectées à l’échelle mondiale depuis plus de quinze ans, Michel Thiebaut de Schotten, chercheur CNRS de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (AP-HP/CNRS/Inserm/Sorbonne Université), et ses collaborateurs, Slava Karolis et Maurizio Corbetta de l’Université de Padoue en Italie, ont pu réaliser la première cartographie complète de la latéralisation des fonctions cérébrales. Leurs résultats, publiés en 2019 dans la revue Nature Communications*, montrent que la latéralisation des fonctions cérébrales est distribuée le long de quatre axes fonctionnels :

  • l’axe de la « communication symbolique » (vert)
  • l’axe de la « perception/action » (cyan)
  • l’axe des émotions (rose)
  • l’axe de la prise de décision (jaune)

Le groupe « communication symbolique », dans lequel on retrouve notamment le langage, la lecture et le calcul, est très latéralisée à gauche, alors que le groupe « perception/action » et le groupe « émotions » sont latéralisés à droite. Le groupe « prise de décision », quant à lui, reposerait plutôt sur des régions du lobe frontal droit. Ce dernier point est particulièrement intéressant car avant cette étude, aucune asymétrie n’avait encore été démontrée entre les hémisphères lors de la prise de décision.

Latéralisation des fonctions cérébrales représentée dans un espace à 2 (a) et 3 (b) dimensions le long de l’axe de la communication symbolique (vert), l’axe de la « perception/action » (cyan), l’axe des émotions (rose) et l’axe de la prise de décision (jaune)

Cette étude montre également que plus les fonctions sont latéralisées, moins elles établissent de connexions avec l’autre hémisphère (via le corps calleux), validant ainsi – pour résumer – l’hypothèse initiale que les fonctions cérébrales se sont latéralisées avec l’augmentation de la taille du cerveau afin d’optimiser le traitement de l’information. En contrepartie, la diminution des connexions entre les hémisphères rend la récupération fonctionnelle d’un hémisphère endommagé après une lésion cérébrale plus difficile. L’hémisphère non endommagé ayant alors plus de mal à pallier les fonctions perdues.

Pour la suite de leurs travaux, Michel Thiebaut de Schotten et ses collaborateurs souhaitent étudier les variations de latéralisation des fonctions entre individus, et tester par exemple si une forte latéralisation d’une fonction chez une personne entraîne une latéralisation différente d’autres fonctions.

*The architecture of functional lateralisation and its relationship to callosal connectivity in the human brain. Karolis VR, Corbetta M & Thiebaut de Schotten M. Nature Communication. March 2019.

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